L'enseignant, c'est l'autre
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Avec Léo Tamaki (photo AS Monaco) |
En
Shiatsu, il est de coutume de dire que « le patient est le
véritable maître ». En effet, c'est le patient, qui permet au
thérapeute d'affiner sa pratique. Dans l'acte thérapeutique, cela
est rendu possible par le fait que l'intention prend le pas sur la
technique pure. En somme, ce qui compte ce n'est pas ce qu'on fait,
mais comment on le fait. Comme il s'agit davantage d'atteindre un
état d'être, plutôt que d'effectuer une technique, la transmission
est complexe.
En
Aïkido, la problématique est similaire : comment étudier
l'humain, le vivant, sans le figer, sans le réduire à l'état
d'objet ?
L'écueil
consiste généralement à percevoir la discipline comme une science
biomécanique. Or, un corps vivant, sensible, éveillé ne réagit
pas de la même manière qu'un corps inerte !
Si
l'on pouvait se permettre un parallèle, ce serait celui de la
pratique du surf : impossible de figer la vague pour essayer de
monter dessus et travailler sa stabilité par exemple ! Il faut
réussir à capter l'instant si l'on désire surfer. Cela ne signifie
pas pour autant qu'il faille toujours travailler « à plein
régime ». Un travail lent, mais vivant peut être beaucoup
plus productif qu'un travail dynamique désorganisé. Un travail lent
n'est pas non plus un travail statique ou figé.
Avec
ces quelques considérations, nous percevons à quel point
l'enseignement d'une discipline traitant le vivant est complexe. Le
rôle du professeur peut donc être déterminant. C'est d'ailleurs le
premier conseil que l'on donne à un débutant : trouver un« bon » professeur.
Et
l'élève ?
Mais
avant de parler de l'enseignant peut-être pourrait-on s'intéresser
à l'élève. Tout d'abord parce que nous avons tous été élèves
(il est bon de le rappeler de temps en temps !) et que la majorité
des pratiquants sont élèves. En second lieu, il ne faut pas oublier
que la relation « d'enseignement » est bien une relation.
Par conséquent, on peut supposer que les responsabilités sont
partagées dans la réussite ou l'échec d'une transmission. Ne
pouvant agir que sur le choix de
son enseignant et non sur ses qualités, il est judicieux d'essayer
d'être autonome dans son propre apprentissage. Même si le
choix de l'enseignant est important, c'est surtout l'élève qui va
transformer le savoir transmis en quelque chose de tangible.
Comme
disait Itsuo Tsuda, parlant de Haruchika Noguchi, le créateur du
Seïtaï : « à l’instar de mon professeur je peux vous
montrer où se trouvent les toilettes, mais je ne peux pas y aller à
votre place ».
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Op. cit. |
Quand
il n'y avait pas d'enseignants
La
première personne qui a appris quelque chose n'avait probablement
pas quelqu'un à proximité pour lui dire des choses telles que :
« mets ton pied là, tiens toi droit, respire... ». Bien
sûr, cela ne signifie pas pour autant que ce primo apprenant
ne s'est pas inspiré de son environnement, humain ou animal, afin
d'apprendre. Mais lorsque personne ne possède la capacité que vous
cherchez à développer, vous êtes obligés de devenir autonome et
d'être à l’affût de tout ce qui pourra vous aider à obtenir
ladite capacité. On devient donc chercheur avant d'être élève.
Toutefois,
le fait de recevoir un enseignement ne rend pas l'élève exempt de
la responsabilité qui lui incombait en tant que « chercheur ».
Ainsi, l'enseignant représente une source d'information,
éventuellement de correction, au même titre que l'environnement. Il
appartient à l'élève d'intégrer ou non ces informations.
Si
par chance vous trouvez un maître, cela va représenter un gain de
temps considérable. Ce dernier va pouvoir transmettre une partie de
ses expériences et vous éviter ainsi certains écueils. Cette
notion de gain de temps est primordiale. Le temps étant, par
essence, compté, tout ce qui vise à éviter d'en perdre doit être
respecté. C'est ainsi qu'on peut percevoir l'enseignement comme
quelque chose d'extrêmement précieux...
L'expérience
et le cadre
L'objet
d'étude étant le vivant, sa nature changeante le rend ardu à
analyser. En d'autres termes, il est difficile de faire l'économie
de l'expérience pour progresser. L'expérience ne se transmettant
pas, la place de l'enseignant peut sembler secondaire... Au
contraire, il me semble qu'un « bon » professeur, va
créer un contexte de travail sécurisé permettant à l'élève de
vivre et d'intégrer rapidement des expériences.
Ainsi
la fonction première de l'enseignant est de créer un cadre, une
ambiance de travail, permettant à l'élève de s'enseigner à
lui-même, de faire lui-même l'expérience. Cette ambiance va être
très liée à la personnalité du professeur et à sa compréhension
de la discipline. C'est peut-être pour cela qu'on dit qu' « on
enseigne plus ce qu'on est que ce qu'on sait ».
La
disparition du prof
On
peut supposer que l'objectif premier d'un professeur est de devenir
inutile. C'est-à-dire que son enseignement est tellement efficace
qu'il permet rapidement à ses élèves d'être autonomes, voire
meilleurs que lui. Un peu comme des parents qui préparent du mieux
possible leurs enfants à leur vie d'adulte et qui désirent les voir
quitter le foyer sereinement.
Pour
le professeur, cela signifie avoir créé un cadre de travail
spécifique. Un cadre sans dépendance affective ou technique...
La
juste ambiance de travail peut être studieuse, amicale, silencieuse,
austère, violente selon l'effet recherché et selon la période.
Elle représente un équilibre difficile à atteindre.
D'une
part, il est nécessaire de créer un contexte favorable pour que
l'individu ait toutes les conditions pour être réceptif et intégrer
de nouveaux apprentissages. D'autre part, il faut éviter l'écueil
de créer une dépendance de l'élève envers les récompenses et
encouragements. Si l'on veut progresser, il faut aimer la pratique
pour la pratique et non parce que le professeur nous complimente.
C'est vrai en général, mais d'autant plus dans la pratique
martiale. En effet, la capacité à effectuer une action quel que
soit le contexte (que le maître soit ou non présent par exemple)
est fondamentale dans les arts martiaux.
Dès lors, on peut considérer que créer un contexte où l'individu
a un besoin incessant d'encouragements, ou au contraire d'injonctions
coercitives, est éloigné de l'objectif de la pratique.
La
place de la parole est une
question souvent abordée. Certes, les premiers Japonais venus en
France fournissaient généralement peu d'explications. Peut-être
était-ce parce qu'ils ne parlaient pas le français ? Peut-être
reproduisaient-ils ce qu'ils avaient connu avec O senseï, qui,
rappelons-le, s'exprimait dans un dialecte incompréhensible
pour la majorité de ses élèves ? Peut-être pensaient-ils
qu'il ne faut pas parler, mais ressentir ? Peut-être ont-ils
considéré que lorsqu'il y a des centaines de personnes sur le
tapis, c'était inutile ? Chacun se fera son idée. On peut
toutefois garder à l'esprit que trop de mots peuvent brouiller une
image et que trop peu la laisseront opaque.
On
peut choisir de ne pas parler afin de laisser l'intuition et la
vision globale
se développer. On peut aussi se reposer sur les sempaïs
pour transmettre ce qu'il serait trop long d'expliquer ou de faire
sentir à tous les élèves. Ne pas parler c'est aussi laisser libre
la direction de travail afin que chacun, de l'ancien au débutant,
puisse exprimer ce qui lui est nécessaire. Même si le silence est
nécessaire dans le cadre d'un travail conscient sur le corps,
quelques explications sont parfois judicieuses et évitent de perdre
inutilement du temps ou de se blesser !
On
peut choisir de ne pas parler afin de laisser l'intuition et la
vision globale
se développer. On peut aussi se reposer sur les sempaïs
pour transmettre ce qu'il
serait trop long d'expliquer ou de faire sentir à tous les élèves.
Ne pas parler c'est aussi laisser libre la direction de travail afin
que chacun, de l'ancien au débutant, puisse exprimer ce qui lui est
nécessaire. Même si le silence est nécessaire dans le cadre d'un
travail conscient sur le corps, quelques explications sont parfois
judicieuses et évitent de perdre inutilement du temps ou de se
blesser !
La
structure du savoir
Le
choix du cadre de travail peut également être dicté par un élément
beaucoup plus tangible, celui de l'organisation du curriculum…
L'Aïkido
tire la majeure partie de ses techniques du Daïto-ryu. Il
semblerait que Sokaku Takeda les enseignait en les faisant payer à
l'unité. Cela a eu pour effet de multiplier le nombre des techniques
dans le Daïto-ryu, là où la tendance générale d'un koryu
(école traditionnelle) va à la synthétisation du curriculum. Sans
jeter l'opprobre sur le Daïto-ryu dont chacun pourra
reconnaître la qualité, cette multiplication des techniques a eu
pour conséquence de placer le professeur au centre de l'enseignement
comme détenteur du savoir. Cela s'est renforcé en Aïkido avec la
figure charismatique d'O Senseï. La compétition étant absente de
notre discipline, l'enseignement est souvent perçu comme étant le
plus haut niveau. Cela sacralise d'autant plus le professeur.
A
contrario, un curriculum restreint (dont la taille variera selon
la quantité d'entraînement disponible) va équilibrer la relation
enseignant/élève, en donnant au pratiquant la carte du territoire à
découvrir. En effet, si le nombre de techniques est restreint il
sera rapidement intégré et le pratiquant pourra explorer seul sa
discipline. Ainsi, l'entraînement consistera davantage à la
perfection du geste et à
l'intégration de celui-ci dans le corps, qu'à la récitation
maladroite d'un catalogue technique inépuisable. Il est toutefois
nécessaire à l'esprit humain d'avoir une certaine variété
d'exercices pour rester motivé. D'autre part, un curriculum
restreint permet d'aborder rapidement le travail libre, excellent
outil de progression, trop souvent absent de nos tatamis.
Ainsi,
il semble illusoire de penser créer un panel technique qui
couvrirait toutes les possibilités du combat, d'avoir le temps de
l'étudier et de pouvoir l'intégrer dans le corps. C'est la même
chose en Shiatsu : il ne s'agit pas d'établir une liste des
techniques qui fonctionnent pour telle ou telle pathologie, mais bien
d'employer des principes valables même quand l'affection à traiter
est inconnue. Quel que soit l'art, la même question
subsiste : que reste-t-il quand on a tout oublié ?
On
peut d’ailleurs se demander si le système employé par le
professeur pour transmettre son savoir est définitivement
et exclusivement valable. Enseigner est une chose, théoriser et
organiser son savoir en est une autre. Il arrive qu’un maître
possède « le truc » pour réaliser telle ou telle
prouesse mais que son interprétation du fonctionnement
technique soit bancale. Ses étudiants auront beau étudier son
système de fond en comble, ils ne posséderont pas ladite qualité
recherchée. L’esprit prévaut sur la lettre…
Il
semblerait que dans le milieu des koryus, la principale
préoccupation d'un soke (détenteur d'une lignée) soit de
trouver un successeur afin que l'école se perpétue. Cela signifie
qu'il n'est pas dans une logique d'expansion du savoir, mais plutôt
de conservation de celui-ci, de transmission.
On
peut ainsi faire une différence entre enseigner et transmettre. Dans
ce cas, enseigner serait dispenser
une information, là où transmettre signifierait vérifier qu'elle a
bien été intégrée et implique alors la correction. La
frontière est parfois ténue. Même si l'heure actuelle est plutôt
à l'enseignement (grand public), la transmission existe toujours
mais reste réservée à un petit nombre. Il ne peut en être
autrement. Un professeur ayant une centaine d'élèves ne peut
s'occuper de chacun en particulier. La notion d'autonomie de l'élève
en est d'autant plus importante.
Faut-il
nécessairement posséder une qualité pour la transmettre ?
On
pourrait spontanément répondre oui à cette question. Ne pas
totalement incarner quelque chose que l’on désire transmettre
semble dangereux et peut mener
à des erreurs d’interprétation de la part de l’enseignant puis
de l'élève. Cela semble évident. En revanche, il existe bien des
entraîneurs sportifs qui permettent à leurs joueurs de développer
des qualités qu’ils ne possèdent pas eux-mêmes et n’ont
peut-être jamais possédées. Les professeurs des génies n’ont
pas toujours été des génies eux-mêmes…
On
rapporte que Tamura Senseï aurait dit : « le maître,
c'est celui qui possède la chose que vous désirez obtenir »,
on pourrait envisager d'ajouter à cela, « ou
celui qui vous permet d'y accéder »...
Le
point nommé Maître Cœur 6 est localisé à deux pouces du pli du
poignet, au milieu de la face interne de l'avant-bras. Il est réputé
traiter les lourdeurs de poitrine, apaiser l'inquiétude et les
troubles émotionnels, mais aussi harmoniser l'estomac. La saison
estivale étant propice aux voyages, il est bon de rappeler qu'il est
parfois utilisé contre le mal des transports (nausées…). Il
existe même des bracelets élastiques composés
d'une pastille de plastique qui vient presser ce point. En Aïkido,
la technique Yonkyo peut parfois être effectuée sur ce point, même
si on lui préfère généralement l'écrasement du nerf radial
contre l'os.
Cet l'article paru dans le Hors-série Dragon Spécial Aïkido n°9 sur la thématique "Enseignement et transmission".
Cet l'article paru dans le Hors-série Dragon Spécial Aïkido n°9 sur la thématique "Enseignement et transmission".