Sortir du monde des robots - Dragon Hors-Série n°6

Voici l'article paru dans Dragon Magazine Hors-Série n°6 sur Musubi et Awase. Je remercie, à nouveau, très chaleureusement Léo Tamaki qui m'offre la possibilité de partager ces éléments de réflexion. Vous pouvez actuellement trouver ma contribution au numéro 7 en librairie !
Sortir du monde des robots
Awase et Musubi font partie de ces notions transverses que chaque adepte explique et manifeste différemment. Il s'agit de termes qu'on utilise peu en Shiatsu, voire pas du tout. Pour autant, les principes qu'ils recouvrent, eux, sont largement employés. Observons donc l'Aïkido à travers le prisme du Shiatsu...
S'harmoniser ?
On définit généralement Awase
comme le fait de s'harmoniser. Mais que signifie s'harmoniser, et à quoi ou à
qui s'harmonise-t-on ?
En premier lieu, on peut constater
que lorsqu'on se sent « en harmonie » avec quelque chose (un lieux,
un paysage, une personne ou une situation), la frontière qui nous sépare de ce
quelque chose s'amenuise. Et cela provoque généralement un sentiment
d'apaisement, propice à la réception d'informations et à l'action juste.
S'harmoniser cela pourrait donc
être se rendre perméable, afin de recueillir un maximum d'informations, en vue
d'agir ou non (après tout, l'action juste peut très bien être de ne rien faire
!).
En pratique lorsqu'un praticien
de Shiatsu reçoit un patient, il ne cherche pas à créer une barrière avec ce
dernier. Au contraire il essaie de se rendre perméable afin de recueillir le
maximum d'éléments pour son diagnostic. Il prend ainsi en compte la démarche,
la posture, le son de la voix, les odeurs corporelles, la couleur du teint, les
rides éventuelles, la nature des propos, les émotions et sensations qui
surviennent, etc.
Plus le Shiatsuki* sera en
ouverture et apaisé, plus il « s'harmonisera » au Jusha**, plus il recevra
d'éléments pour son diagnostic. Ce qui est intéressant c'est que cette écoute
bienveillante apaise le patient, qui délivrera alors davantage d'éléments pour
le diagnostic. C'est un cercle vertueux.
D'autant plus que le simple fait
d'être à l'écoute produit déjà un effet thérapeutique.
Cette phase préalable
« d'harmonisation », fait à mon sens la différence entre un maître et
un apprenti. Ainsi, l'essentiel du travail s'effectue en amont et cela facilite
grandement les choses. Mais peut-on réellement parler de travail ? Ne
s'agit-il pas plutôt d'un état d'être qui facilite tout ? Une sorte
d'action non agissante comme l'évoque la philosophie orientale.
Ainsi, il me semble qu'avec la
notion d'Awase, il y a l'idée d'aller dans le sens du courant, d'accepter les
choses telles qu'elles sont.
Concernant les arts martiaux,
cela peut se traduire de manière concrète par le fait de respirer sur le même
rythme, de lever les Bokkens en même temps, d'entrer en contact sans heurts,
d'esquiver sans précipitation mais simplement parce qu'on avait senti le moment
juste... Bref, de l'extérieur cela doit ressembler à une danse, et le néophyte
spectateur jugera que Uke est consentant alors que Tori s'est
« juste » harmonisé à son mouvement.
On notera que Awase doit s'appliquer
le plus tôt possible et de manière immédiate. Lorsque le patient monte les
escaliers qui le mènent au cabinet de Shiatsu, le praticien est déjà en Awase
avec lui. De même un expert au sabre n'attend pas de créer un contact pour être
sur le rythme de son adversaire, cela se fait d'emblée. Ce qui ne facilite pas
la chose...
Accepter pour transformer
Accepter les choses et s'y
adapter, cela ne signifie pas qu'on ne désire pas les faire changer ! Il est
évident que le Shiatsuki souhaite faire évoluer la situation de son patient. De
la même manière le pratiquant d'Aïkido ne désire pas uniquement s'harmoniser
aux mouvements de son partenaire. Il cherche généralement à le faire chuter ou
à l'immobiliser.
Il s'agit maintenant de définir
comment agir sur l'autre de manière harmonieuse tout en capitalisant la porte
d'entrée fournie par le principe Awase. En effet, une fois en Awase avec votre
Uke ou votre Jusha, il y a un moment où il vous faudra « reprendre la
main » afin de l'amener là où vous le souhaiter : au sol ou vers un état
de mieux être selon le cas !
Musubi : unir
Comment reprendre l'avantage
alors ?Une fois Awase présent, on peut arriver à un stade où l'on ne sait plus qui initie le mouvement. Il me semble que c'est le moment idéal pour intervenir. La difficulté en somme va être de bouger l'autre sans le contraindre, mais sans le laisser faire ce qu'il veut pour autant. Plus la relation que l'on a créé avec son partenaire sera forte, plus facile sera le mouvement.
C'est là qu'intervient Musubi, en exprimant l'idée de lien, d'union. Certains auteurs parlent de fusion, probablement pour exprimer l'idée d'un lien très fort, mais il ne faut pas se perdre dans cette fusion au risque de laisser Uke reprendre l'initiative.
L'idée d'harmonie existe aussi dans
Musubi. Voici donc une petite scène qui illustre parfaitement les deux
principes :
« Vous êtes assis à côté de
votre compagne ou de votre compagnon et regardez un film. Vous commencez à
respirer au même rythme et à la même intensité que votre partenaire, c'est
Awase. A un moment donné, une fois le rythme établi, vous pouvez modifier votre
respiration, en accélérant ou en ralentissant, et votre partenaire suivra ce
changement, c'est Musubi ».
Dans le cadre du combat la
difficulté c'est que les deux protagonistes recherchent la même chose et que
leur attention est focalisée sur ce qui se passe et non sur un film.On parle généralement de Ki-musubi. Définir ce qu'est le Ki, mériterait un article à lui seul. On peut toutefois noter que cela regroupe une multitude d'idées et que la langue japonaise l'emploi à foison. On parle d'énergie, d'intention, d'état d'être, de savoir faire, etc. C'est un terme relativement vague en fait. Quoiqu'il en soit, cela désigne une globalité et je pense que lorsque l'on dit « se lier à l'autre » en employant le terme Musubi, on pense à la totalité de son être (physique, psychique, émotionnel...), donc le terme Ki est superflu.
On notera enfin qu'il n'y a pas
vraiment de limite définie entre Awase et Musubi, et que l'un et l'autre
interviennent à des moments différents selon la technique. Cela rend leur
transmission d'autant plus difficile.
Animation d'une initiation
au Shiatsu lors d'un stage d'Aïkido
|
C'est là qu'intervient le Kata.
Ce moule hypercontraignant va obliger l'étudiant à faire différemment ce qu'il
fait habituellement.
Grossièrement on pourrait dire,
par exemple, que tel mouvement proposé par le Kata est impossible, sauf si l'on
maîtrise le principe d'Awase, ou de Musubi. Ce qui est fantastique c'est que le
Kata est à la fois le moyen de progresser, mais aussi l'instrument
d'évaluation. Ainsi quelqu'un qui n'a jamais pratiqué le Kata, mais qui
maîtrise le principe qui le sous-tend peut tout à fait le réaliser (sous
couvert d'apprendre sa forme d'expression).
À ce titre, l'exemple de cette praticienne de Seïtaï m'a frappé. Elle
raconte comment le chat de sa patiente intervient lors d'une séance, et la
corrige : « Il a appuyé sa patte sur ce doigt trop léger, son cou sur
ce poignet trop raide, m’a regardée droit dans les yeux, et mon toucher n’a
plus jamais été le même ».
Le chat ne connaît rien au Seïtaï, mais il sait d'instinct
« harmoniser » une situation. Pour un praticien de discipline de santé cela pose d'entrée la
question suivante : est-il vraiment nécessaire d'apprendre quoique ce soit
si un chat peut faire mieux que moi ? Finalement ne s'agit-il pas
davantage de « retrouver » une capacité innée plutôt que d'en
développer une ?
En Shiatsu, le Kata peut y aider, mais il n'est pas le seul chemin. Il
existe quantité de personnes qui, sans formation particulière, font des
étincelles lorsqu'ils posent leurs mains sur quelqu'un...
Dans le cadre d'une pratique martiale ce retour à une capacité innée
apparaît plus compliqué. Et ce d'autant plus lorsqu'il y a manipulation
d'armes, qui sont loin d'être des outils avec lesquels on est nés. À se
demander si l'homme n'est pas mieux préparé à guérir son prochain qu'à le
combattre...
Panacée ou pas ?
Là où le bas blesse, c'est
lorsqu'on ne comprend pas les principes à travailler dans le Kata et qu'on les
répète à la manière d'un robot. On devient alors vite expert en Kata, plutôt
qu'être expert en principes régissant les Katas.
L’ambiguïté réside probablement
dans le fait que le Kata peut être pris à la fois comme moyen pédagogique et
comme situation de combat plausible.
Cette méconnaissance génère des
formes dites « vides » (qui sont rarement vides, mais plutôt
incomplètement pleines) et cela peut être source de tensions inutiles. Un
ostéopathe me disait récemment que les patients qui présentaient le plus de
tensions à la nuque étaient les pratiquants d'Aïkido ainsi que ceux de Yoga,
« parce qu'il y a une forme à respecter, cela crée des tensions ».
Comme le hasard fait bien les choses, j'ai reçu le lendemain une pratiquante
acharnée de yoga (5h par jour) qui était d'une souplesse incroyable... avec la
nuque la plus raide que j'ai jamais vue !
On peut imaginer que les tensions
peuvent aussi naître d'un trop grand désir de réussir (une projection, une
immobilisation, un soin...). En guise de conclusion il me semble donc judicieux
de se débarrasser de ce désir de réussite, pour se parer du désir d'harmonie.
Belle idée en effet, et même si le mot est galvaudé il ne faut pas oublier que
les pratiquants d'Aïkido ont une obligation de moyen et non une obligation de
résultat. Charge à nous de quitter le monde des robots pour entrer dans celui
de la sensation !
*Shiatsuki : praticien de
Shiatsu
**Jusha : patient, celui qui
reçoit le traitement de manière non passive.RUBRIQUE
Un point c'est
tout !
La légende raconte que les
policiers de la Chine ancienne menaient les ivrognes au poste en pressant ce
point puisqu'il devient très sensible en cas d'excès alimentaires ou
alcooliques.
C'est un des grands points de
traitement du haut du corps. On l'utilise notamment pour la constipation, les
symptômes du visage (maux de tête ou de dent, rhume...). Attention, c'est un
point dit abortif puisqu'il facilite les contractions.