En Aïkido, doit-on être fort ?
Voici un article de fond écrit par mon ami Rémi Nahon. Je l'ai sollicité pour écrire pour Dragon Magazine autour de la thématique de la force. Rémi est un jeune pratiquant talentueux que j'ai rencontré au dojo de mon père il y a déjà plusieurs années. C'est un chercheur acharné qui s'appuie sur sa pratique de la méthode scientifique pour aller au-delà des apparences. Ses réflexions pertinentes m'inspirent toujours. Si nos sempaïs nous stimulent parfois, cela peut aussi être le cas de nos kohaïs ! Je suis certain que vous trouverez là matière à réflexion.
L’Aïkido
est l’une des rares disciplines physiques dont beaucoup prétendent
qu’elle ne repose pas sur les capacités athlétiques ou la force
musculaire de ses pratiquants. Ainsi la question « Doit-on être
fort en Aïkido ? » semble n’appeler qu’une évidente
réponse négative. Nous allons toutefois, à travers cet article,
tenter de réfléchir à différents sens que peut revêtir le fait
d’être fort et aux raisons pour lesquels ils peuvent être,
ou non, intéressants dans la pratique de cette discipline.
Être
fort, qu’est-ce que c’est ?
Tout
d’abord, essayons de définir les termes de notre question. En
physique newtonienne, une « force » modélise une action
mécanique qui crée l’accélération d’un objet. Nous rappelons
que toute modification de la vitesse d’un objet est appelée
accélération, et qu’à ce titre une décélération, un arrêt ou
une mise en mouvement sont autant de formes d’accélérations. Plus
précisément la deuxième loi de la mécanique de Newton (ou
Principe Fondamental de la Dynamique) exprime que la somme des forces
extérieures appliquées à un solide est égale au produit de sa
masse par l’accélération de son centre d’inertie (soit F =
m*a). Ainsi une force qui accélère énormément un objet très
léger, ne modifiera que très peu la vitesse d’un objet très
lourd et vice-versa (d’où cette impression étrange lorsqu’un
objet qu’on essaie de soulever est beaucoup plus léger qu’attendu
et qu’il quitte alors le sol à une vitesse très supérieure à
celle prévue).
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Pavel Tsatsouline, expert en développement de la force |
Pour
un être humain, il n’y a que peu de possibilité pour déployer
des forces à partir de son corps (je m’autorise ici à exclure les
technologies avancées ainsi que l’usage de la magie). Il lui est
possible au choix :
- D’utiliser sa force musculaire de façon positive (ou motrice) pour tirer, pousser, ou en tout cas modifier la vitesse d’objets avec lesquels il interagit.
- D’utiliser la gravité qui s’applique sur son corps. Or même dans ce cas, il a le choix, soit de contracter certains de ses muscles pour augmenter l’accélération créée par la gravité, soit d’en détendre d’autres pour ne pas retenir l’effet de la gravité.
En
conclusion, on n’a accès qu’à des actions musculaires. Et donc
des phrases telles que « N’utilise pas de force » ou
« N’utilise pas tes muscles » n’ont à ce titre,
aucun sens si on les comprend au pied de la lettre, même si on
pourra voir plus loin qu’elles mettent le doigt sur un défaut
existant.
Être
fort reviendrait donc à être capable de développer des forces
élevées, à l’intérieur ou à l’extérieur de son corps. Cela
correspond à être capable de maintenir l’intégrité de son corps
sous de fortes contraintes et à accélérer fortement des objets
externes à ce corps. Cela ressemble donc plus à un ensemble de
compétences qu’à un état et l’on peut déjà s’interroger
sur la possibilité d’ « être fort »
indépendamment de la situation.
L’Aïkido,
une discipline de petits gabarits ?
L’un
des arguments qui fait souvent office de preuve pour démontrer que
« le faible peut vaincre le fort » en Aïkido est le fait
que nombre des pratiquants les plus célèbres de la discipline,
respectés par tous leurs pairs, étaient particulièrement petits.
On prend en effet facilement l’exemple du fondateur de l’Aïkido,
Ueshiba Morihei ou de l’un de ses disciples les plus célèbres
Shioda Gozo (fondateur du Yoshinkan Aïkido), mesuraient tous les
deux moins d’un mètre soixante. La preuve est donc faite ! Si
des hommes si petits pouvaient faire fonctionner leurs techniques sur
des armoires à glace de 30 à 40cm de plus qu’eux, c’est bien
que la discipline ne nécessite pas d’être fort ! Et bien
peut-être que cette inférence est faite de façon un peu trop
rapide.
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Ueshiba Moriheï |
En
effet on trouve de nombreux témoignages concernant le fait que
Ueshiba Morihei pesait plus de 80kg ou d’autres détaillant la
sensation d’être pris dans un étau quand sa main se refermait sur
leur poignet. Concernant Shioda Gozo, il existe une interview célèbre
qu’il a donnée en compagnie de Kimura Masahiko. Kimura est un des
noms les plus célèbres du Judo hors du Japon, célèbre
principalement pour avoir battu le fondateur du JiuJitsu brésilien
Hélio Gracie en 1949. Dans l’interview, il est question de séances
de bras de fer auxquelles se sont adonnés Shioda et Kimura et
desquelles Shioda est toujours sorti vainqueur, alors qu’il pesait
presque la moitié du poids de son adversaire (47kg contre 85kg). De
ces anecdotes on peut conclure que les deux hommes cités étaient
effectivement petits de taille mais étaient tout sauf faibles
physiquement. Même dans le cas de Shioda, qui ne semble pas être
solidement bâti, il a dû bâtir une force musculaire élevée pour
pouvoir battre un individu comme Kimura dans un jeu comme le bras de
fer qui, même s’il nécessite de la technique, contient une forte
composante musculaire brute.
Évidemment
ces observations ne permettent pas de conclure que l’Aïkido
nécessite une force musculaire incommensurable pour devenir
efficace. Mais elles permettent tout de même d’invalider le fait
que ces deux porte-bannières du « le faible peut vaincre le
fort » aient jamais mérité ce titre de « faibles ».
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Shioda Gozo |
Vers
une meilleure perception de la force ?
Si
la force n’est pas mauvaise en elle-même comme nous avons pu le
voir précédemment (dans la mesure où elle est motrice du
mouvement), il faut faire attention à ce que nos perceptions
associent à ce mot.
En
effet il m’est arrivé régulièrement d’être grisé par
l’impression de force dégagée lors d’un exercice de
musculation, en tapant dans un sac de frappe ou dans le vide. Or
cette sensation n’est due qu’à la résultante opposée à la
force qui est appliquée. Je ne suis capable de ressentir ma force
que lorsqu’une autre s’y oppose soit à l’extérieur de mon
corps (percussion ou résistance, poids) soit à l’intérieur
(contraction musculaire empêchant mon corps de se déliter au
moindre coup de poing qui n’atteint pas sa cible, ou qui empêche
l’articulation d’absorber la force développée). Ainsi
lorsque j’ai l’impression de donner un coup de poing puissant,
cette sensation est due en partie à la force que je dois développer
pour empêcher ma main et mon avant-bras de partir dans le décor, et
en partie à la force opposée par l’objet percuté.
Ainsi,
dans le cadre d’une percussion ou d’un étranglement, il peut
sembler normal voire bon de sentir une « résistance »,
celle du corps de l’adversaire qui n’arrive pas à se déplacer
pour ne pas subir le dégât. C’est très différent dans le cas
d’une frappe pénétrante ou d’une coupe (supposées traverser
l’adversaire) ou bien de la majorité des techniques d’Aïkido
qui visent à déstructurer le corps de l’adversaire.
En
effet l’efficacité de ces techniques repose justement sur la
capacité de Tori à ôter à Uke toute possibilité de résister au
mouvement. Il conviendra donc d’apprendre à trouver les bonnes
directions par rapport au corps de l’autre, les bons leviers dans
notre propre corps et le bon timing d’une technique, plutôt que de
chercher à augmenter la contrainte ou la vitesse d’exécution de
mouvements inefficaces. En général, dans les cas précédemment
cités, « sentir
sa force » est un signal annonçant une technique mal
effectuée.
« Ne
force pas ! »
C’est
une consigne qui revient régulièrement en Aïkido et qui peut
sembler étrange à plusieurs égards. Si elle est synonyme d’un
« N’utilise pas de force / tes muscles ! », elle
perd tout son sens car, comme on l’a vu précédemment, notre
condition humaine nous oblige à utiliser notre force musculaire pour
générer du mouvement. On peut donc écarter ce sens. D’autre
part, il semble évident que dans un cadre combatif il faudra
utiliser ses avantages sur l’autre pour survivre. Cette injonction
à ne pas forcer sonne comme un handicap à cet égard : si l’on
arrive à produire l’effet voulu, toute méthode est bonne !
Mais
si le partenaire est capable de percevoir cette force qu’il
critique, c’est qu’elle est dirigée dans une direction qui
permet une opposition de sa part. Ainsi si notre objectif est de
parvenir à l’appliquer sur un adversaire plus fort physiquement
que nous, il conviendra d’affiner cette technique pour qu’elle ne
permette plus cette résistance.
De
plus, le fait d’essayer d’aller vers un « retrait de la
force » (que l’on devrait peut-être maintenant traduire en
« retrait de la sensation de force ») permet de mieux
exploiter les forces externes telles que le poids (des membres ou de
l’arme) ou les tractions et pressions effectuées par l’adversaire.
À
terme on pourrait sans doute chercher à ajouter de nouveau de la
force et de la vitesse dans nos mouvements, cette fois-ci bien
dirigés et dépouillés des contractions des antagonistes.
Distinction
émetteur-récepteur
Pour
la suite, nous allons effectuer une distinction entre deux postures
que j’appellerai :
- l’émetteur : l’individu qui frappe ou déploie une technique d’Aïkido
- le récepteur : celui qui reçoit cette frappe ou cette technique
Si
ces définitions semblent coller aux termes habituels d’Uke et de
Tori, j’ai décidé de ne pas les employer ici dans la mesure où
dans de nombreuses pratiques codifiées de l’Aïkido, Uke a
tendance à frapper aussi et donc a en partie le rôle d’émetteur
et Tori reçoit donc certaines frappes (voire des techniques dans le
cas de Kaeshi Waza). Ces rôles sont évidemment changeants et il
arrive régulièrement qu’un individu soit dans les deux cas à la
fois. Il ne s’agit donc que d’outils pédagogiques que je vais
utiliser pour réfléchir à ce que voudrait dire le fait d’être
fort dans chacune de ces situations.
Cas
1.1. : Récepteur d’une frappe
Si
l’on conserve la définition donnée précédemment d’être fort,
c’est-à-dire être capable de modifier grandement la vitesse des
objets, être fort dans la réception d’une frappe revient à être
capable de l’arrêter en exerçant une force exactement opposée au
point de contact. En bref cela revient à se faire frapper sans que
cela ne nous fasse bouger.
On
a à faire à deux possibilités dans ce cas :
- On peut ne pas bouger et subir la frappe au point de contact envisagé par l’émetteur. C’est envisageable dans le cadre d’un combat à main nue et d’une frappe dans une zone qui ne risque pas de blesser gravement ou de faire perdre conscience à celui qui la subit. Cela suppose de plus qu’on est capable d’encaisser ce choc via par exemple l’armure que crée nos muscles, ce qui n’est pas le cas si l’adversaire est armé. En résumé, un coup de poing dans les abdominaux contractés est relativement acceptable. Le même dans la mâchoire ou asséné par un couteau ne le sera plus.
- On pourrait essayer d’aller opposer une force égale pour stopper la frappe activement. Cela reviendrait à cette action de dessin animé où l’on voit deux protagonistes frapper leurs poings ou leurs sabres l’un contre l’autre. Dans ce cas, on risque assez sûrement de blesser le membre utilisé pour contrer (car dur contre dur entraîne rupture), et on est obligatoirement en réaction aux actions de l’adversaire. Une idée pas très efficace en bref, ce qui tend à expliquer qu’elle n’est utilisée à ma connaissance que dans le cadre de la fiction.
On
pourra conclure qu’il ne semble pas pertinent d’être « fort »
face à une frappe. Il pourrait être plus avantageux de l’éviter
ou de suivre sa direction pour limiter les dégâts. En effet même
si l’on n’arrive pas à éviter une frappe, accompagner son
mouvement (c’est à dire bouger dans la même direction qu’elle à
la même vitesse) réduit à néant les dommages. Enfin même si on
subit réellement cette frappe, le fait de ne pas y résister
divise par deux la contrainte subie par la zone de contact (car
rester sur place revient à opposer une force égale à celle de la
frappe en son point de contact).
Cas
1.2. : Récepteur d’une technique d’Aïkido
Ici
par « technique d’Aïkido » on entendra « technique
de manipulation du squelette », la composante atemi étant
recouverte par la notion de frappe. Être fort lorsque l’on reçoit
une technique d’Aïkido consisterait donc encore une fois à
stopper le mouvement de l’émetteur, donc à bloquer la technique.
Ce genre de pratique a plusieurs inconvénients, tels que tout
d’abord un risque de blessure (si le but d’une technique est la
luxation d’une articulation et que celle-ci est bien effectuée,
elle risque d’entraîner… une luxation, étonnant non ?) et
surtout une autre attaque que l’on ne saurait gérer. En effet,
bloquer une technique n’est une tactique efficace que face à un
opposant dont le seul but est de réussir cette technique. Si
celui-ci a pour objectif de détruire, ce n’est pas un bras un peu
raide qui va le ralentir.
Conclusion
des cas 1.1 et 1.2
Hors
d’un cadre sportif où les frappes ne seraient portées que sur des
zones capables de les encaisser et d’un cadre caricatural de
l’Aïkido où les frappes ne seraient pas portées et où il serait
impossible d’abandonner une technique dès que le récepteur la
bloque, il semble inutile d’être fort ou de développer de la
force contre celles exercées par l’adversaire. Il serait plus
judicieux d’apprendre à percevoir les forces qu’il exerce pour
être capable de les suivre ou de les éviter.
Cela
crée une nouvelle difficulté : le récepteur d’une technique
ou d’une frappe doit être capable de bouger les parties de son
corps sur lesquelles l’adversaire voulait agir à des vitesses au
moins aussi élevées que celles que l’action de l’adversaire
devait créer. Pour ne pas subir de dégâts et pouvoir reprendre
l’ascendant, il devra de plus être capable de changer la
répartition des forces internes qui le traversent. Le fait de
relâcher ou de contracter certains muscles lors de la réception
d’une technique peut en effet changer de beaucoup ses effets. Il
faudra quoiqu’il en soit que le corps du récepteur soit capable de
générer toutes ces forces qui lui permettent de suivre le mouvement
de son opposant et que ses articulations soient capables de gérer
ces forces et ces changements de directions rapides. On pourrait
parler d’articulations mobiles mais stables et cette création de
stabilité est en quelques sortes une force !
Dans
le cadre de l’Aïkido, la stabilité va souvent manquer au niveau
des épaules, ce qui peut engendrer des blessures, mais de nombreux
exercices existent pour les renforcer (cf. encadré).
Cas
2.1. : Émetteur d’une frappe
Dans
le cadre de l’émission d’une frappe, admettons que l’on
cherche à développer un maximum de dégât en une percussion. Ainsi
il va falloir maximiser ce qu’on appelle en mécanique l’énergie
cinétique, car la violence de l’impact lui est proportionnelle.
Cette
énergie cinétique correspond grossièrement à l’énergie que
possède un objet du fait de son mouvement. Elle est modélisée par
la formule suivante :
Ecinétique=
½ * mobjet
* vobjet2
Ainsi
on observe que les deux facteurs sur lesquels on peut travailler pour
maximiser cette énergie sont la vitesse de l’objet qui percute et
sa masse.
Pour
maximiser la vitesse, il importe d’utiliser tous les outils que
nous avons à disposition. On en dénotera deux principaux :
- Le « relâchement » : Si le combat se déroule sur la surface (ou en tout cas suffisamment proche) de la surface d’une planète de masse suffisante (prenons au hasard la Terre), la gravité est un allié puissant ! En apprenant à ne pas lutter contre elle, toute frappe verticale, du type Shômen Uchi ou Yokomen Uchi en Aïkido par exemple, disposera d’une accélération supplémentaire. Il faudra pour ce faire apprendre à effectuer des frappes dites « relâchées », ce qui signifie en fait qu’on essaie de réduire au minimum le travail des muscles antagonistes au mouvement (typiquement l’action du biceps ou du deltoïde antérieur pendant un Shômen).
- L’usage d’autant de vecteurs que possible : Prenons l’exemple d’un coup de poing direct et essayons d’expérimenter. Si l’on se place face à un mur, les hanches parallèles à lui (en posture Shizentai) et qu’on essaie de le toucher à hauteur de visage le plus vite possible sans bouger ni les pieds, ni les hanches, ni la ligne d’épaules (qui reste parallèle à celle des hanches), on atteint une certaine vitesse qui sera notre étalon. Si maintenant, on conserve le même objectif de toucher le mur mais que l’on s’autorise à tourner les hanches et la ligne d’épaule lors de ce mouvement, on atteindra plus vite notre cible. En effet notre bras étant relié à notre épaule, si celle-ci se déplace dans la direction du mouvement, notre main se rapproche plus vite de la cible. Même observation si l’on décide de s’autoriser à effectuer un pas dans la direction de la cible. En résumé, à peu de choses près, les vecteurs vitesse dans une même direction vont pouvoir s’additionner.
Contrairement
à ce que l’on pourrait croire intuitivement, il paraît concevable
d’augmenter la composante « masse » d’une frappe. En
effet comme on l’a montré précédemment, les liaisons dans le
corps permettent d’augmenter largement la vitesse de l’objet qui
percute mais cela ne semble pas forcément suffisant pour obtenir une
frappe puissante si par exemple l’objet est dissocié du corps au
moment du contact.
Un
bon exemple de ce fait pourrait être un lancer de balle de
ping-pong. Imaginez-vous recevoir une balle de ping-pong lancée par
un très bon lanceur de toutes ses forces. Imaginez maintenant vous
faire frapper par la main de ce lanceur au moment où la balle de
ping-pong quitte sa main. Je suppose que l’impression est plus
désagréable.
Des
études menées sur divers pratiquants de MMA par Stuart McGill,
expert en biomécanique canadien, ont démontré que les meilleurs
d’entre eux résolvaient ce problème naturellement par ce qu’il
appelle en anglais le « Double Pulse ». On observerait
durant les frappes portées trois phases : une première phase
de contraction des muscles nécessaires au moment du déclenchement
de la frappe (pour amener à vitesse maximale le membre percutant,
qu’il s’agisse d’un poing, d’un coude, d’un genou ou
autre), une deuxième de relâchement de l’ensemble de ces muscles
pour le laisser suivre sa trajectoire sans ralentissement, et une
troisième de contraction des mêmes muscles et particulièrement de
ceux du tronc au moment du contact. Cette dernière contraction
permet de lier tout le corps dans le mouvement et d’ajouter
justement de la masse dans la frappe.
Cette
contraction semble ne pas être volontaire, toutefois il est possible
d’optimiser son efficacité en apprenant au corps à créer de la
rigidité et de la stabilité. L’une des zones les plus importantes
à travailler est ce qui est appelé en anglais le « core »,
que l’on traduit souvent à tort par « abdominaux » en
français mais qui correspondrait plus à tout le tronc ou en tout
cas l’ensemble de la ceinture abdominale (incorporant les lombaires
et même jusqu’au grand dorsal). Sa rigidité va permettre la
transmission des forces générées par le bas du corps dans le haut.
En effet si une force est déployée dans une zone du corps mais
qu’elle n’est pas entourée de rigidité, elle sera absorbée par
les tissus. Une analogie pourrait être trouvée dans le fait
d’essayer de transmettre de la force au-travers d’une corde
détendue.
Stuart
McGill propose ainsi une batterie d’exercices permettant
d’apprendre à ce « Core » à résister à divers
moments de flexion et de torsion. Les
trois exercices les plus connus, surnommés « the Big 3 »
sont détaillés ci-après.
![]() |
Stuart McGill |
Cas
2.2. : Émetteur d’une technique d’Aïkido
On
distinguera ici deux formes antagonistes d’Aïkido, dont je grossis
volontairement le trait pour l’objectif de la démonstration. La
plupart des écoles d’Aïkido se placent sur un curseur tirant plus
ou moins d’un côté du spectre décrit ci-dessous.
Cas
2.2.1. : Un Aïkido puissant
On
a d’une part un Aïkido qualifié généralement de puissant, dont
l’objectif est de créer des techniques développant autant de
force que possible dans la direction escomptée, permettant un
mouvement très dur à contrer même si le récepteur connaît les
directions d’application et lutte contre elles. Ici on ne cherche
plus à mettre en mouvement un maximum de chaînes articulaires, car
le maillon le plus faible de la chaîne déterminera la quantité de
force en sortie. On cherche donc à stabiliser l’ensemble des
articulations qui ne seront pas motrices et à utiliser comme moteur
les muscles les plus puissants disponibles. Ce seront souvent les
muscles faisant le tour du bassin, d’où la fameuse injonction
Aïkidoesque « Utilise tes hanches, pas tes bras ! ».
Faisons
à ce propos une expérience : Tenez-vous debout, votre bras
droit tendu dans l’alignement de votre ligne d’épaule (votre
main droite est alors au plus loin possible de votre épaule gauche).
Demandez à un partenaire de vous empêcher de ramener cette main,
bras tendu, devant votre sternum. Testons deux méthodes différentes
maintenant : Essayez de ramener cette main sans tourner les
épaules ou les hanches vers votre partenaire. On prend dans cette
situation assez rapidement conscience des limitations de nos
pectoraux… Tentez maintenant de tourner vos hanches vers votre
partenaire. Vous avez maintenant la main devant votre sternum.
Bloquez cette position dans le haut du corps en contractant muscles
abdominaux, pectoraux et dorsaux et ramenez votre buste dans sa
position initiale en tournant sur le bol du pied. Ramener votre main
a sans doute été beaucoup plus simple dans ce cas que dans le
premier !
Cet
exemple simpliste donne une idée assez claire de l’idée
développée plus haut, même si bien évidemment la réalité est
toujours plus complexe que ce que je viens de décrire ! Pour ce
genre de mouvement l’intérêt de la stabilisation de la colonne
vertébrale semble évident, ce pourquoi je vous renvoie de nouveau
aux exercices « Big 3 ».
Cas
2.2.2. : Un Aïkido mobile et léger
A
l’opposé du spectre, on peut imaginer un Aïkido qui ne se
reposerait pas sur la puissance intrinsèque des mouvements qu’il
développe mais sur une recherche de créations des meilleurs angles
par rapport à l’adversaire, de suivi des forces qu’il exerce. Un
Aïkido de ce type pourrait permettre d’obtenir le résultat
escompté, non par la puissance dégagée par nos mouvements, mais
par l’absence de résistance possible à ceux-ci, due à la
compromission de la structure du récepteur. Une telle pratique se
devrait d’être plus rapide que la précédente et de posséder une
plus grande variété de postures pour les articulations. L’objectif
sera en effet de mettre en mouvement un maximum de muscles différents
à chaque mouvement, pour en sommer les vitesses et en multiplier les
directions. Ici, le pratiquant devra donc être en mesure de
développer des mouvements rapides dans des amplitudes
potentiellement grandes, ce qui va requérir mobilité et stabilité
dans les articulations concernées, comme dans le cas du récepteur
capable de suivre les techniques qu’il subit. C’est ici que
certains exercices très célèbres faits parfois en échauffement et
parfois à juste titre en tant qu’exercice de « forge »
(ou Tanren) prennent tout leur sens. On peut prendre l’exemple de
Shikko du Sumotori, qui pourrait permettre de développer mobilité
et stabilité dans un grand nombre des muscles de la ceinture
pelvienne (même si j’avoue ne pas tout à fait comprendre
l’utilité de frapper le sol en revanche). Peut-être serait-il
intéressant de revisiter ces nombreux exercices historiques
d’échauffement pour en découvrir des intérêts jusqu’alors non
explicités ?
Quelques exemples d’exercices de stabilisation
Stabilisation
de la ceinture scapulaire
La
plupart de nos mouvements, qu’il s’agisse de notre quotidien
d’individus majoritairement assis à taper sur un clavier ou même
de nos activités physiques (et l’Aïkido ne déroge
malheureusement que peu à la règle), ont tendance à accentuer une
rotation interne et une avancée des épaules. Pour visualiser ce
mouvement, essayez de pointer vos coudes vers le plafond (ou le ciel
pour les plus chanceux d’entre nous). Le renforcement des muscles
qui permettent cette position et l’affaiblissement de ceux qui lui
sont opposé est non seulement inesthétique mais est surtout très
mauvais pour la santé des épaules. Le risque de blessure dans toute
sorte de mouvements en est très largement augmenté. Il existe
toutefois des exercices permettant de renforcer les muscles qui
limitent ce mouvement et recentrent l’épaule, et particulièrement
les rotateurs externes de la coiffe des rotateurs. Ces muscles
permettent la rotation externe de l’humérus (os allant de l’épaule
au coude), c’est à dire qu’ils tournent les coudes vers les
côtes. La suite d’exercices proposée ici tend à renforcer ces
muscles ainsi que de nombreux autres de la ceinture scapulaire et est
appelée YTWL (pour la position prise par les bras par rapport au
corps dans l’espace).
L’objectif
dans chacune de ces postures va être d’essayer de positionner ses
pouces et ses coudes le plus loin possible derrière soi. On essaiera
toujours d’emmener les pouces plus loin que les coudes. Ces
exercices sont d’abord à travailler debout pour en sentir les
directions sans appliquer de poids dessus. On peut envisager par
exemple de faire 3 séries de 10 contractions volontaires dans
chacune des postures. Lorsque ceux-ci sont bien assimilés, on peut
les travailler allongé ventre au sol. On devra alors lutter contre
le poids des bras. Et enfin il sera possible de les travailler avec
des élastiques ou à la poulie (ou encore allongé sur le ventre
avec des poids), en prenant garde à ce que leur point d’ancrage
soit placé à un endroit pertinent pour lutter contre une force qui
a bien la direction voulue.
Stabilisation
de la colonne vertébrale : « the Big 3 », de Stuart
McGill
Stuart
McGill est un kinésithérapeute spécialisé dans la biomécanique
de la colonne vertébrale, reconnu dans le monde entier pour ses
travaux avec des athlètes de haut niveau mais aussi sur des
individus moyens (ce qui permet à ses conclusions les plus générales
d’être applicables à une majorité). Ce qui nous intéresse ici
sera sa conclusion sur les muscles du tronc : d’après lui,
grossièrement, ces muscles ne fonctionnent pas comme les muscles que
nous avons l’habitude d’entraîner en musculation et ne doivent
donc pas être entraînés comme eux. Leur objectif principal est de
stabiliser la colonne vertébrale et de transmettre les forces qui
traversent le corps sans l’abîmer.
En
effet, pour entraîner un biceps par exemple, on a tendance dans de
nombreux cas à chercher à atteindre une amplitude presque maximale
(à aller de bras tendu à bras plié au maximum). Certains tentent
donc d’appliquer ce genre de principe à l’entraînement du grand
droit des abdominaux en faisant des relevés de buste (crunch en
anglais), ou divers mouvements qui tordent ou vrillent la colonne.
D’après McGill, cette technique n’est pas la plus efficace et
est surtout très néfaste pour la santé de la colonne vertébrale.
Il préconise donc, plutôt qu’un entraînement au mouvement de
flexion (ou de torsion), un entraînement au moment de flexion (ou de
torsion), ce qu’on appelle de l’isométrie.
On
va donc chercher à maintenir des postures dans lesquelles, sans
résistance, le buste connaîtrait une flexion ou une torsion et
empêcher cette création de mouvement.
L’objectif
sera donc de prendre la posture sans perdre la neutralité de la
colonne vertébrale et de la maintenir un temps donné.
Les
trois exercices principaux alors préconisés sont les suivants :
The
Bird Dog :
On se place à quatre pattes en essayant de trouver un position
neutre de la colonne. L’objectif va ensuite être de tendre une
jambe et le bras du côté opposé en même temps, sans perdre la
forme du buste trouvée précédemment. L’envie naturelle serait de
laisser la colonne vriller, attirée par la jambe et le bras levés.
C’est ce contre quoi on essaie de se prémunir.
The
Curl Up :
Cet exercice a pour objectif de remplacer les relevés de buste. Il
s’agit de se mettre dans la position visible sur la photographie,
les mains sous les lombaires pour conserver une légère courbure
naturelle et de lever très légèrement la tête et les épaules.
L’analogie donnée par McGill est de laisser juste suffisamment
d’espace pour qu’on puisse passer une feuille de papier entre
votre tête ou vos épaules et le sol. Le fait de les garder si bas
augmente grandement la difficulté de l’exercice en épargnant la
colonne vertébrale !
The
Side Plank :
Il s’agit de la planche latérale, l’un des plus célèbres
exercices de gainage. Lorsque celle-ci devient trop facile, il est
recommandé de passer à des portés unilatéraux, c’est-à-dire de
marcher, la colonne neutre encore une fois avec un objet lourd dans
une main et de faire des séries d’une minute de marche par
exemple, puis de changer de main.
Rémi
Nahon a commencé les arts
martiaux à l’âge de 17 ans par la pratique de l’Aïkido auprès
de Jean-Marc Chamot. Passionné dès lors par cette pratique, il la
poursuit lors de ses études en école d’ingénieur en pratiquant
lors de stages, tout en s’intéressant à la biomécanique à
travers d’autres pratiques telles que le Yoga et la musculation,
ainsi que la lecture d’experts du domaine tels que Stuart McGill ou
Pavel Tsatsouline.
Cet Article est initialement paru dans Dragon Magazine Spécial Aïkido n°26