Explorer les saisies...
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Avec Léo : lâcher peu présenter des avantages... (photos Paul Wheeler) |
1. Pourquoi saisir ? : Justification pédagogique
Il
est devenu classique de commencer l'apprentissage d'une technique en
l'effectuant d'abord sur une saisie avant de passer à une frappe. On
suppose généralement que le tempo de la saisie étant plus lent,
cela permet au débutant d'avoir le temps d'apprendre. Bien
évidemment, il existe des liens entre l'exécution d'une technique
sur saisie et sa version en réponse à une frappe. Le problème de
cette approche est que les techniques cohérentes sur une saisie ne
le seront pas nécessairement sur une frappe. Par exemple Kotegaeshi
semble une option intéressante sur une attaque Chudan Tsuki, et au
contraire est beaucoup moins pertinent sur Gyaku Hanmi Katate Dori
(et cela est surtout souvent plus complexe pour les débutants).
Vouloir à tout prix mettre en place des étapes pédagogiques peut
inutilement alourdir un catalogue technique déjà conséquent.
2.
Pourquoi saisir ? : Justification historique
On
explique souvent que les saisies de poignets, si nombreuses en
Aïkido, existent car à l'époque (il faudrait d’ailleurs préciser
laquelle) cela permettait d'empêcher l'adversaire de sortir son
sabre de son fourreau.
Cela
semble vraisemblable, mais le contexte dans lequel cette action
s'effectue était très précis.
Exploration
1 :
De nos jours, Tori doit, au préalable, s'être entraîné à
dégainer rapidement et avoir acquis un minimum de compétences dans
ce geste (coupes horizontales, verticales, diagonales). Rappelons que
dégainer au sens du Iaïjutsu, signifie sortir son sabre en coupant.
Il ne s'agit pas de sortir son arme puis de couper dans un second
temps.
Ce
préambule acquis,Uke vient pour saisir la main droite de Tori afin
de l'empêcher de dégainer (de face, de côté ou en se croisant en
marchant). Au moment où Tori perçoit l'intention de Uke, il
dégaine.
Remarque
1 :
Combien de fois Uke réussira-il à empêcher le dégainage ? En
réalité, il est très difficile d'empêcher quelqu'un de dégainer
en tentant de le contrôler par une saisie (et cela le serait encore
plus s'il s'agissait d'un couteau). La plupart du temps on se fait
couper avant d'avoir pu toucher la main. On peut alors supposer que
la saisie ne pourra être effectuée que par surprise et à une
distance très courte. Cela modifiera donc le type de techniques
employées par Tori. En effet, la structure d'une technique à
effectuer lorsque l'on est surpris, n'est pas la même que celle que
l'on emploie lorsque l'on est « fin prêt ».
Il
faut donc être plus précis lorsque l'on dit que les saisies du
poignet sont là pour empêcher le dégainage du sabre. Seul un
certain type de saisie (à très courte distance) semble pouvoir
permettre cela.
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Saisir l'arme de l'adversaire |
3.
Pourquoi saisir ? : Justification martiale (au sens plus
large)
On
peut justifier la présence de saisies par l'intérêt qu'elles
peuvent avoir en combat. Il existe un certain nombre de disciplines
qui en ont fait leur spécialité (Judo, Jujitsu Brésilien, Sambo et
autres grapplings). On notera qu'il est rare dans ces disciplines que
les saisies interviennent sur les poignets. Il s'agit majoritairement
de saisies au corps. Il est en effet très difficile de produire un
effet sur un adversaire en lui saisissant les poignets, mais c'est
beaucoup plus commode en saisissant la toile du Keïkogi ou le tronc
et la nuque.
Exploration
2 :
Uke essaye d'attraper les poignets de Tori (Gyaku Hanmi Katate Dori,
AïHanmi Katate Dori, Ryote Dori, Morote Dori, etc.) qui se déplace
et retire ses mains.
Remarque
2 :
Il est quasiment impossible de saisir les poignets de quelqu'un qui
ne veut pas se laisser faire.
Exploration
3 :
Dans le précédent exercice, il est possible que Tori se soit mis en
situation dangereuse (par exemple en mettant ses mains derrière le
dos afin d'éviter la saisie). Dans un deuxième temps on peut
envisager que Tori frappe Uke lorsque ce dernier cherche à le
saisir. C’est probablement une approche de ce type qui permettrait
d'être plus proche du contexte d'un combat : même s'ils
emploient des moyens différents, aucun des deux protagonistes ne
souhaite laisser l'autre agir à son gré, et les rôles d'attaquant
et de défenseur s'interchangent indéfiniment.
Remarque
3 :
à ce moment le rapport s'équilibre : Tori n'est plus dans la
fuite et Uke n'est plus dans un confort illusoire. On notera qu'en
réponse aux frappes de Tori, Uke peut le saisir. Ainsi on retrouve
une saisie de poignet, mais celle-ci a été mise en place dans un
contexte dynamique. Par conséquent les techniques qui suivront
s'articuleront forcément d'une manière différente.
Exploration
4 :
Uke essaye de saisir Tori au corps (Kata Dori, Muna Dori, Ryo Kata
Dori, Kumi Kata, etc.).
Remarque
4 :
Cela est beaucoup plus facile à réaliser pour Uke. Notons néanmoins
que la distance est plus courte et que par conséquent Uke s'expose
davantage aux frappes potentielles de Tori.
Conclusion :
On peut supposer que les saisies aux poignets surviennent dans un
contexte où un échange de coups a déjà eu lieu. Par conséquence
il y a du mouvement lors de ce type de saisie. Cela signifie que les
saisies lourdes, pieds ancrés, ont peu de chances d'occurrence. La
meilleure réponse qu'on puisse leur faire est une frappe, voire
plusieurs. En effet, ayant tendance à figer Uke, ces saisies là
font de lui une cible immobile, facile à toucher.
A
contrario,
les saisies au corps peuvent être des saisies de première intention
et, à ce titre, méritent probablement un travail différent.
4.
Quelles intentions ?
Que
ce soit en réponse à une attaque (saisie aux poignets, de deuxième
intention) ou pour attaquer (saisie au corps, de première
intention), saisir est effectué dans un but précis : celui de
prendre un ascendant temporaire ou définitif. À ce titre il faut
savoir exploiter une saisie pour en faire un avantage. N'oublions pas
que saisir c'est immobiliser, a
minima,
une de ses propres mains. Cela place donc dans un état de
vulnérabilité et il faut par conséquent veiller à ce que cette
action « rapporte » plus qu'elle ne coûte.
Exploration
5 :
Tori vient saisir Uke et prolonge son action en réalisant une
projection, une frappe de la main libre, ou une immobilisation. Uke
modélise simplement les réactions qu'il aurait dans le cas où Tori
aurait pu mener son action à terme.
Remarque
5 :
Attention, certaines créations peuvent rapidement devenir
invraisemblables... Il s'agit de rester simple et efficace. Venir
saisir pour effectuer Shihonage ou Uchikaitenage est possible, mais
risqué. Il est plus judicieux de se cantonner à des mouvements qui
ont de grandes chances de fonctionner.
Exploration
6 :
Une fois ces enchaînements en tête, Uke vient saisir Tori avec
l'idée de mener son action à terme. Cela implique donc des saisies
suivies de frappes ou de projection ; des saisies dynamiques en
somme. Tori quant à lui répond par une technique.
Remarque
6 :
Cette façon de procéder modifie totalement le travail habituel. Uke
n'est plus là pour bloquer Tori (en se mettant, en outre, en
danger), mais pour réellement l'attaquer. Paradoxalement, la
technique de Tori peut devenir plus facile puisque Uke est engagé
dans son action.
On
notera que certaines techniques deviennent faciles, là où d'autres
deviennent invraisemblables. Très souvent il est plus facile de
gérer la main libre de Uke (celle qui va produire une frappe),
plutôt que de s'occuper de la main saisie. Cela va à l'encontre de
ce qui est habituellement enseigné. En Aïkido : on travaille
sur la main saisie. Peut-être y a-t-il une raison à cela, ou
peut-être est-ce un « couac » dans la chaîne de
transmission de l'Aïkido. On pourrait ainsi supposer que certaines
techniques effectuées sur saisies (à l'instar de Kokyu Ho), sont en
fait des exercices et non des techniques. Elles seraient ainsi
inapplicables dans un contexte de combat, mais auraient leur utilité
pédagogique.
5.
Pourquoi continuer à tenir ?
La
saisie n'est pas une attaque. La saisie est la porte d'entrée de
l'attaque. Continuer à saisir, ce n'est pas continuer à attaquer,
c'est s'oublier, c'est oublier son intention première et son rôle
d'attaquant.
À
partir d'un certain niveau de pratique l'objectif de Uke n'est pas de
fournir une attaque et de s'endormir. Son objectif est de réagir
intelligemment aux propositions de Tori. Il peut pour cela enchaîner
une autre saisie ou attaque, se protéger, se désengager.
Continuer
à tenir sa saisie n'a souvent pas grand sens. Certes, dans la quête
du déséquilibre on peut pédagogiquement le justifier mais, à mon
sens il existe d'autres outils pédagogiques moins « déformants »
et probablement plus applicables en dehors du tatami.
On
peut aussi le justifier par le fait que si Uke lâche il va recevoir
une frappe. D'une part ce n'est pas toujours vrai, et d'autre part ce
serait plutôt à Tori d’être en mesure de frapper Uke, que ce
dernier le lâche ou non.
Exploration
7 :
Uke saisit Tori. Tori effectue une technique. Uke le lâche quand il
le souhaite, afin de reprendre l'avantage.
Remarque
7 :
Selon la manière dont on effectue les techniques, cela peut les
modifier grandement. Dans une perspective de self-defense, cette
étape est indispensable.
Il
n'est pas nécessaire pour Tori de mener à tout prix sa technique à
terme si Uke lâche. Il peut décider d’en changer en cas de
besoin. En revanche, il doit toujours être dans une position
favorable afin de conserver son ascendant sur Uke.
Exploration
8 :
Uke saisit. Tori commence une technique et Uke lâche la saisie pour
la transformer en frappe (par exemple : Kata Dori devient un
crochet).
Remarque
8 :
Encore une fois, cela oblige clairement à reconsidérer la manière
dont nous exécutons nos techniques.
Voici
d'autres pistes pour varier l'approche des saisies :
- Tori attaque par une frappe, Uke esquive et saisit, Tori en profite pour effectuer une technique sur la saisie.
- Penser à travailler les saisies de côté. Elles sont généralement peu abordées, mais fortement probables.
- Uke vient pour saisir et recevoir une technique. De temps en temps il se fait saisir par Tori et doit répondre par une technique. Cela évite qu'il ne se cantonne qu’à un rôle de receveur et cela permet également de le rendre constamment actif.
- Uke vient pour saisir et recevoir une technique. De temps en temps il se fait attaquer par une frappe et doit répondre par une technique.
- Tori ferme les yeux, Uke le saisit comme il le souhaite et Tori conserve les yeux fermés alors qu'il exécute une technique. Cela permet d'affiner ses sensations et de préciser ses gestes.
- Tori est de dos. Lorsqu'il se retourner Uke le saisit immédiatement et comme il le souhaite. Tori effectue une technique en restant calme et en utilisant la fluidité. Cela permet de simuler la surprise que l'on pourrait avoir lorsque l'on n'est pas préparé à être saisi (ou attaqué).
Bref,
vous l'aurez compris, il existe de multiples manières d'aborder les
saisies, de les rendre plus vivantes et plus intéressantes aussi.
Certes on peut vouloir continuer à pratiquer exactement comme
« avant ». Cette fidélité peut se justifier, mais elle
fait fi d'un élément fondamental dans les arts martiaux : la
capacité d'adaptation.
L'Aïkido
vit une période difficile et pourrait très bien disparaître. S'il
est urgent de modifier la façon dont la discipline est présentée
au grand public, cela ne peut se faire que par un travail de
l'intérieur. C'est en modernisant et en adaptant le rapport à notre
curriculum technique et à notre pédagogie que nous pourrons
exprimer plus clairement les apports indéniables de l'Aïkido au
monde martial.