Le monde à l'envers
L'autre
jour je regardais une compilation vidéo de mini exploits réalisés
par des quidams qui s'entraînent néanmoins beaucoup : sauts
périlleux, démonstrations d'adresse et acrobaties en tous genres...
Il
serait donc plus que judicieux d'inclure des situations semi-ouvertes
pendant la période de formation afin de créer de l'incertitude et
ainsi de stimuler l'élève pour qu'il agisse au mieux.
Cet article est initialement paru dans Aïkido Journal n°66
Rapidement
j'ai songé que les capacités que l'on développe généralement en
Aïkido sont ridicules face à un triple salto effectué du haut d'un
immeuble.
Puis
j'ai pensé qu'au fond, on ne cherchait pas à réaliser d'acrobaties
en Aïkido et qu'on ne pouvait comparer ainsi les disciplines.
Mais
quelque chose en moi sentait que cette dernière remarque n'était
pas tout à fait exacte.
Alors
j'ai songé qu'on était très mauvais en pédagogie : la
plupart des acrobates semblent jeunes et l'on imagine qu'il ne leur a
fallu que quelques années pour atteindre un niveau plus
qu'honorable, là où une majorité d'Aïkidokas mettent quelques
décennies à être capable de « produire un résultat
acceptable d’un point de vue technique ».
Et
puis je me suis dit qu'en Aïkido c'était différent : nous
pratiquons l'art martial ultime. Il nous faut savoir mettre l'orteil
et le petit doigt exactement là où les plaçaient O Senseï...
Et
puis je me suis aussi dit qu'il fallait que j'arrête de me raconter
des histoires...
À
temps de pratique équivalent, si les Aïkidokas sont moins bons dans
leur discipline que ne le sont d'autres pratiquants dans la leur,
c'est que la pédagogie qui est censée les former est mauvaise ou, a
minima, inadaptée.
Il
est vraisemblable qu'originellement les gens se battaient
« instinctivement » et en déduisaient ensuite certaines
techniques fonctionnelles. Techniques qu'ils peaufinaient avant de se
battre à nouveau pour les peaufiner encore, s’ils avaient survécu,
s’entend. Ils créaient donc ainsi un cercle pragmatique, vertueux
où les hypothèses quant à ce qui fonctionne en combat est
continuellement réévalué et testé.
De
nos jours, il n'est pas vraiment possible d'enseigner ainsi et
demander aux élèves potentiels d’aller d'abord de se battre
pourrait clairement s’avérer dangereux pour eux. Dans les faits,
pédagogiquement, c’est l'inverse qui est employé puisque l’on
commence par enseigner des techniques. Mais celles-ci sont
régulièrement extraites de leur contexte et présentées comme un
but en elles-mêmes, alors qu’elles n’étaient à l’origine
qu'un moyen. Ne connaître ni l'objectif de quelque chose que l'on
apprend, ni le contexte l’entourant, risque très fortement
d’entraver la progression.
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Salto en Aïkido aussi ?! (avec Shioda Gozo) |
Par
exemple sur deux attaques connues, mais effectuées aléatoirement,
il faudrait réaliser une technique déterminée (pour travailler sur
sa capacité à gérer l'incertitude). Ou bien l’on devrait
effectuer un kaeshi
waza une fois sur
quatre (pour travailler la capacité à rester présent même si l'on
subit le mouvement 75% du temps), ou encore essayer de prendre un
ascendant définitif lors d'une entrée alors que Uke souhaite
vraiment toucher (à pleine vitesse ? à pleine puissance ?),
etc. Il existe énormément de possibilités pour moduler
l'entraînement et le rendre plus « excitant » (mais
aussi plus profitable) que lorsqu'on répète pour la énième fois
la même technique déjà connue, avec les mêmes partenaires pour
lesquels l’effet de surprise – même relatif – a disparu…
Il
est nécessaire de créer une situation avec un problème à
résoudre. Déjà parce que c'est ainsi que l'on progresse, mais
aussi parce que sinon le cerveau humain – qui n'aime pas s'ennuyer
– va créer lui-même – sournoisement – les conditions pour
avoir un problème à résoudre. Par exemple l’attaquant se
permettra de bloquer le mouvement quand dans « la vraie vie »
il aurait alors sûrement reçu une frappe, ou il attaquera d'une
manière qui rend la technique étudiée absurde, etc. Lorsque
l'environnement est ennuyant, celui-ci est modifié. Et si l'on
modifie le contexte martial en le transformant en
« lutte-larvée-je-te-bloque », très vite, on ne
progresse plus.
Il
me semble donc urgent de faire évoluer les modes d'entraînements
habituels, qui pour la plupart, tournent autour de la répétition
technique. Il faut réfléchir plus et créer des situations
stimulantes, variées, enrichissantes... Comme le font déjà la
plupart des autres disciplines de combat...