Déplacements ou des placements ?
C'est
à la fois un euphémisme et une évidence de dire que les
déplacements sont fondamentaux en Aïkido : n'oublions pas que dans
n'importe quel art du mouvement il est nécessaire de se déplacer !
Les
mouvements que l'on choisit de travailler sont généralement
déterminés par un certain nombre de contraintes. Ces contraintes
peuvent être choisies (règles, volonté artistique, etc.) ou
imposées (limites de la biomécanique, contexte , etc.).
Dans
le cadre de la pratique martiale, la contrainte numéro un est de se
protéger, de survivre. Il s'agit d'une contrainte imposée par le
contexte. Si l'on parle d'art martial on est obligé de conserver
cette contrainte dans notre pratique.
En
revanche, préserver son adversaire est une contrainte choisie. On
notera que pour choisir d'épargner il faut être en capacité de
détruire, c'est la définition du choix : être capable de
pouvoir réaliser les deux options.
Notre
pratique doit donc nous permettre de choisir entre détruire
(contrainte imposée) et préserver (contrainte choisie).
Contraintes
imposées
Lorsqu'une
attaque arrive deux options semblent s'offrir à nous : s'y
opposer ou l'éviter. Partant du principe que l'opposant peut être
plus puissant ou armé, il est logique d'éviter ses attaques plutôt
que de chercher à les bloquer. Sortir de la trajectoire d'une
attaque est donc une réponse parfaitement sensée. Malheureusement,
cela ne suffit pas à résoudre la situation, esquiver les problèmes
ne les fait pas disparaître. Si l'on esquive l'attaque d'un
adversaire, il va ensuite falloir se réengager vers lui pour
effectuer une frappe ou une technique. Cela crée un mouvement en
deux temps, esquive puis entrée. Entre ces deux temps il est
possible que l'adversaire enchaîne une deuxième attaque ou se
désengage. Il est donc absolument nécessaire de faire disparaître
le temps mort entre l'esquive et l'entrée.
La
spécificité des mouvements d'Aïkido réside donc dans la
résolution d'un paradoxe : éviter une attaque et prendre un
ascendant en même temps.
Contraintes
choisies
Là
où le bât blesse, c'est lorsque nous nous laissons détourner de
notre objectif de prise d'ascendant parce que l'on souhaite préserver
notre partenaire. Cela fait passer la contrainte choisie (épargner)
avant la contrainte imposée (détruire) et l'art martial devient
inefficace. Les déplacements que l'on effectue doivent permettre de
choisir, une fois qu'ils ont été effectués, entre épargner et
détruire. Mais si l'on commence le mouvement avec l'idée d'épargner
l'autre, cela va être très difficile de réussir à se préserver
soi-même.
La
ligne droite
Pour
ces raisons il me semble préférable d'initier son déplacement en
allant vers l'autre, tout droit, sans esquiver, comme si l'on
souhaitait entrer (irimi) pour causer des dégâts (atémi).
Et
sortir dans un second temps. Mais dans un second temps uniquement.
Lorsque
l'on sort de la ligne d'attaque avant d'entrer sur le partenaire cela
lui laisse généralement la possibilité de « suivre »
le déplacement et de recadrer son attaque.
Déplacements
ou des placements ?
Enfin,
la fonction d'un déplacement d'Aïkido est de produire un effet le
plus immédiat possible sur le partenaire. Pour cela il est
nécessaire que notre corps arrive dans une position la plus
favorable possible au contact du partenaire. Je ne parle pas ici
d'être parfaitement ancré et fort pour recevoir une frapper ou une
saisie, mais au contraire de percevoir le deaï – l'instant du
contact, comme un moment où tori vient avec l'intention de frapper
uke. Cela va immédiatement positionner le corps de uke de manière à
prendre un ascendant. Pour cette raison, on pourrait dire qu'il n'y a
pas de déplacements, mais simplement des placements. Tori est placé
d'une certaine manière avant l'attaque, et d'une autre manière
l'instant d'après. Cette manière de faire est pédagogiquement
intéressante car elle indique clairement à l'élève le résultat
que l'on souhaite obtenir.
![]() |
le déplacement doit produire un effet sur le partenaire - ici avec Léo Tamaki à Chaumont (photo Paul Wheeler) |
Pour
autant, passé un certain niveau il devient nécessaire que le
déplacement entre la position initiale et la position finale possède
quelques caractéristiques. Ces dernières peuvent être différentes
en fonction des écoles d'Aïkido et de la manière d'utiliser le
corps. En revanche ce qui me semble primordial c'est de placer de la
conscience dans tout le mouvement. Pour cela il nous faut tenter
d'être attentif à tout ce qui bouge dans notre corps lorsque nous
nous déplaçons. Deux ingrédients me semblent nécessaires pour
atteindre cet objectif : utiliser la tension minimale nécessaire
(je n'emploie pas le terme de relâchement, trop galvaudé) et ne pas
accélérer.
Ainsi,
la force et la vitesse sont les deux ingrédients auxquels on fait
généralement appel lorsqu'on souhaite immédiatement produire un
effet. Si ces qualités peuvent s'avérer utiles à terme, elles sont
néfastes à la progression car elles entravent la finesse du geste.
Nous
sommes souvent trop concentrés sur la mécanique technique à
appliquer au partenaire. Il faudrait se rappeler que celle-ci est
possible uniquement parce qu'un déplacement a été correctement
effectué, que celui-ci a permis de prendre un ascendant décisif qui
a rendu une technique possible.
Dans
une perspective combative, il nous faudrait essentiellement nous
concentrer sur les déplacements et les entrées correspondantes.
Mais
cela serait également profitable dans le cadre d'une recherche plus
spirituelle, ou à tout le moins pour améliorer sa capacité
d'interaction sociale. Dans le plan symbolique, effectuer
correctement un déplacement c'est comprendre que la manière dont je
bouge peut avoir un impact sur l'autre, même si nous ne sommes pas
en contact apparent. C'est un message fort. Cela consiste à accepter
que tout changement que j'effectue sur moi va modifier la relation à
l'autre.
C'est
là qu'un parallèle avec le Shiatsu peut intervenir.
Il
existe une grande variété de style de Shiatsu. Certains font
référence à la médecine chinoise et aux points d'acupuncture,
d'autres sont plus « occidentalisées » et n'utilisent
pas le concept de méridiens.
Si
l'on exclue le diagnostic, passé un certain niveau, ce qui fait la
qualité d'un traitement ce n'est pas d'utiliser tel ou tel point, ni
de stimuler tel méridien (encore une fois certains styles ne
reconnaissent pas les méridiens ou utilisent d'autres systèmes),
mais la manière dont on effectue le soin. Ce qui compte ce n'est pas
ce que l'on fait, mais la manière dont on le fait.
Dans
le Shiatsu, comme nous pouvons rester longtemps dans des positions
d'écoute, la notion de placement est plus importante que la notion
de déplacement. Par ailleurs, être bien placé permet d'effectuer
un soin doux ou puissant, sans effort. L'objectif étant bien entendu
de produire un maximum d'effet avec le minimum d'effort.
Plus
encore qu'en Aïkido, en Shiatsu la notion de placement est
fondamentale. En somme, le placement guide le déplacement.