Différents aspects du ki, en Aïkido et en Shiatsu
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Marci Dolega, triple champion du monde d'haltérophilie |
L'Aïkido... une
activité physique
Le propos de toute
activité physique est de s'entraîner afin de produire un résultat.
L'haltérophile
s'entraîne à soulever plus lourd, le sprinter à courir plus vite,
la danseuse à dérouler la plus splendide représentation... et le
combattant à vaincre.
Pour réaliser chacune de
ces performances, différentes qualités sont en jeu : force,
vitesse, endurance, souplesse, taille, poids, qualité technique,
intelligence, expérience...
Si posséder toutes ces
qualités est évidemment un avantage, celles qui sont déterminantes
pour le succès sont définies par le cadre de l'exercice. Plus large
sera le cadre, plus important sera le nombre de qualités à
développer.
En ce qui concerne les
arts martiaux, le cadre étant très large du fait de l'absence de
règles, il est difficile de définir précisément les qualités
déterminantes. D'autant plus que celles-ci peuvent varier en
fonction de l'adversaire.
Ainsi, plutôt que de
dire « malgré son âge et sa taille, il a vaincu grâce à son
expertise technique, son expérience et son incisivité » on
fait une ellipse et l'on dit : « il était plus faible,
mais il a vaincu grâce à son ki ». C'est bien commode, mais
cela reste imprécis. N'oublions pas que si le faible vainc le fort,
c'est qu'il compense largement par ailleurs.
Il s'agit donc de
déterminer précisément les qualités qui permettent de « compenser
largement par ailleurs » et nous y trouverons peut-être des
indices sur ce qu'est le ki.
Il est courant de définir
« ki » en le traduisant par énergie. Cela réveille
parfois un imaginaire fantasmé où projections à distances se
mêlent aux démonstrations de forces surhumaines...
Au contraire, la notion
d'énergie en physique est bien concrète. Il s'agit de la capacité
d'un système à produire un travail, ou une modification d'état...
Ainsi, on parle d'énergie mécanique, d'énergie électrique,
d'énergie thermique, d'énergie magnétique, etc.
Nul besoin de rentrer
dans des considérations élaborées pour comprendre qu'en Aïkido,
comme dans toutes les pratiques corporelles, on a besoin d'énergie.
Sans énergie pas de contraction musculaire, sans contraction
musculaire pas de mouvement et donc pas d'Aïkido.
Ainsi, on pourrait
établir que le premier niveau où la notion de ki intervient en
Aïkido c'est le niveau musculaire. J'entends par cela tout ce qui
peut concerner le développement de la force, de la vitesse, de
l'endurance, de la souplesse, etc.
Bien entendu, la pratique
de l'Aïkido n'est pas une pratique de développement musculaire.
Pour autant, il s'agit d'une activité physique et un minimum est
requis. Il est très probable que les techniques que nous employons
ont été mise au point par des personnes qui travaillaient
régulièrement avec leur corps et étaient plus fortes, plus
endurantes ou plus souples que la majorité des pratiquants actuels.
Dans l'optique de faire fonctionner ces techniques au mieux, il
serait logique de ne pas délaisser le développement corporel au
prétexte que la technique pallie toutes les carences.
L'Aïkido ne s’appuie
pas sur la réalisation de performances athlétiques, mais le corps
étant le support de la pratique, il doit être maintenu à son
meilleur potentiel le plus longtemps possible. Il ne s'agit pas tant
de travailler le corps pour améliorer la performance d'aujourd'hui,
mais pour préserver celle de demain. Pour que le vieux et faible
puisse rivaliser avec le jeune et fort, il faut encore qu'il tienne
debout !
L'énergie « musculaire »
est donc le premier type d'énergie qui concerne les pratiquants
d'Aïkido. Il s'agit de développer sa force, son endurance, sa
vitesse, sa souplesse, etc. Cela peut être réalisé indépendamment
de l'entraînement au dojo et procurera de nombreux autres bénéfices
pour la santé et le mental.
La notion de ki peut
également être abordée à travers la notion de savoir-faire, de
technique. Dans une certaine mesure on peut considérer que la
technique est le prolongement de l'énergie musculaire : c'est
le moyen par lequel elle s'exprime.
J'entends par technique,
le mécanisme mis à l’œuvre à partir du moment où il y a
contact (bien entendu on peut remonter avant, mais cela
complexifierait le propos).
Il existe de nombreuses
manières d'effectuer une technique, en faisant appel à de nombreux
principes. Lorsqu'on parle d'énergie au sein de la technique on
pense généralement à une manière subtile de ne pas employer de
force musculaire tout en générant un mouvement puissant. Cela est
notamment rendu possible par un alignement précis des segments, qui
permet un transfert de force avec très peu de pertes. On parle alors
de « génération d'énergie » pour désigner un
mouvement qui a nécessité une faible ressource musculaire et qui a
produit un important résultat. Il me semble que des arts tels que le
Taï Chi travaillent sur cette notion de génération de force.
En ce qui concerne
l'Aïkido, ce principe peut sembler inadéquat. En effet, si l'on
doit « utiliser la force de l'adversaire », est-il
nécessaire d'être capable de générer des mouvements puissants ?
Si le faible peut vaincre le fort, est-ce en restant faible et en
guidant le mouvement de son opposant ou en devenant fort
ponctuellement ?
Il me semble
vraisemblable de dire que l'on ne doit pas ajouter de force au
mouvement de son partenaire. Cela nécessite donc d'effectuer la
technique parfaitement adaptée à la situation. Le défi n'est donc
plus d'effectuer une technique puissante qui fonctionne quoique fasse
le partenaire, mais plutôt d'effectuer la technique qui correspond
parfaitement à l'attaque proposée et ne nécessite aucune dépense
énergétique.
Il ne s'agit donc pas
tant de parfaire la mécanique d'une technique, mais de développer
une intuition, une spontanéité, une adaptabilité et une présence
à l'autre qui permettront de laisser jaillir la technique adaptée.
Cela est difficilement
rendu possible dans le cadre de l’entraînement puisque des élèves
de différents niveaux travaillent ensemble sur des choses
différentes.
Ainsi, il est régulier
que les attaques fournies ne correspondent pas aux techniques
étudiées. Cela a pour effet de devoir faire appel à d'autres
principes (tels que la génération de force) pour résoudre la
situation. Par exemple, si j'effectue une technique rendue facile sur
une poussée et que mon partenaire me tire, il m'oblige à employer
un autre principe pour que je puisse appliquer la technique proposée
par le professeur.
La technique devrait donc
s'imposer comme une évidence par rapport à l'attaque fournie et
être « facile ». En revanche, ce qui est moins évident,
c'est de réussir à parfaitement sentir quel type d'attaque va
advenir pour effectuer la technique correspondante spontanément.
Troisième niveau :
la pensée
S'il est à peu près
clair qu'une performance « musculaire » est liée à
l'intention émise pour la réaliser, cela est encore plus évident
pour une performance « technique ».
Ainsi, si nous avons
abordé ces deux types de travail, nous n'avons pas évoqué leur
point d'origine : la pensée.
Qu'il s'agisse de
l'haltérophile qui tente de battre son record, du marathonien qui
termine son épreuve ou de la danseuse qui effectue une arabasque,
chacun réalise sa performance en plaçant son intention dans son
mouvement. Le rôle de l'esprit est déterminant afin de réaliser un
geste de qualité.
Dans le cas de la
pratique martiale, la moindre pensée peut induire des
micro-mouvements qui feront la différence entre victoire et défaite.
L'intention est donc primordiale. Elle est à la base du mouvement.
Cette intention, lorsqu'elle est répartie dans tout le corps crée
une présence. Cette présence peut être perçue et est souvent
assimilée à la notion de ki.
Cela n'a pas besoin
d'être compliqué ou ésotérique : quand quelqu'un attaque, il
est possible de sentir, avant même qu'il n'ait bougé, qu'il a
l'intention d'attaquer.
Le travail pour
développer cette qualité peut se diviser en deux catégories :
émettre et percevoir.
« Émettre »
correspondrait à penser le mouvement, à vouloir le faire mais se
retenir de le faire. « Percevoir » correspondrait à
simplement accueillir ce qui vient, tout en restant neutre. À
terme, il doit être possible d'employer ces deux facultés
simultanément ou a minima de passer de l'une à l'autre rapidement :
inutile de percevoir que l'on va être attaqué si l'on n'est pas
capable d'émettre l'intention nécessaire pour bouger et éviter le
coup.
Il est difficile
d'aborder la notion de ki sans parler de Shiatsu.
De la même manière que
pour l'Aïkido, on peut considérer deux phases où cette notion
intervient : avant et pendant le contact.
Avant le contact avec le
patient, il s'agit de créer une ambiance favorable. Percevoir
quelles sont les attentes et quels sont les blocages afin de toucher
juste dès le début et de faciliter la suite du traitement. Pour
cela il faut être pleinement conscient de soi, mais aussi de
l'autre. Être conscient, cela pourrait se traduire par « être
attentif à ses sensations corporelles ». On peut également
parler ici « d'ambiance ». Chaque personne, par sa
parole, par ses mouvements, par ses pensées produit une ambiance
différente. Il est important de la percevoir avant d'établir le
contact.
Une fois le contact
établi, les sensations corporelles seront différentes, mais le
principe reste le même : perception (diagnostic) et émission
(acte thérapeutique).
L'avantage du Shiatsu
c'est que lorsque la phase de perception est effectuée en
conscience, le traitement commence déjà à s'opérer et le terrain
se modifie. En somme, lorsque vous posez délicatement la main sur
quelqu'un, le contact va modifier l'état de cette personne, plus ou
moins rapidement. Le traitement et le diagnostic, la perception et
l'émission, ont lieu en même temps.
Ressentir l'énergie ?
Que
peut-on bien percevoir lors du contact ? Éternelle
question... Comment décrire une sensation ?
Beaucoup
d'ouvrages parlent de « ressentir l'énergie ». Si cela
peut recouvrir une réalité pour certaines personnes, il s'agit pour
le moins d'une expression imprécise pour la majorité. Avant de
parler de ressentir l'énergie, on peut sentir de la chaleur, des
micro-mouvements musculaires, le pouls de la circulation sanguine...
Bref, tout un tas de phénomènes physiologiques qui nous indiquent
que le corps est vivant. On peut appeler cela le ki.
Pour ressentir quelque
chose lors du contact, il ne faut pas chercher à tout prix à
sentir. Cela a tendance à nous placer dans un état d'émission (de
vouloir), plutôt que dans un état de perception (accueillir).
Nul besoin de faire
quelque chose de « spécial », il s'agit « juste »
d'être sensible. La sensibilité n'a rien à voir avec avec la
sensiblerie. Il s'agit plutôt d'une écoute fine, d'une perception
aiguë. Il ne s'agit pas de faire quelque chose d'extraordinaire,
mais de faire avec une parfaite concentration et en conscience
quelque chose de simple.
Encore une fois l'enjeu
n'est pas ce qu'on fait, mais la manière dont on le fait.
Les croyances
Ce concept de ki étant
imprécis, il crée deux sortent de réactions quasi-épidermiques :
ceux qui y croient et ceux qui n'y croient pas.
Les arts martiaux étant
ancrés dans le réel, les notions de croyances devraient être mise
de côté pour laisser place à l'expérience. On ne devrait donc pas
pouvoir dire des choses telles que : « le ki, j'y crois »
ou « le ki, je n'y crois pas » (sans oublier qu'il
faudrait détailler ce qu'on entend par là). Mais plutôt :
« j'ai expérimenté ceci, ça a fonctionné ou ça n'a pas
fonctionné ».
La difficulté c'est que
certains de ces phénomènes sont très subjectifs et l'être humain
balance souvent entre deux tendances : le besoin de croire au
merveilleux et le besoin d'avoir des certitudes.
Je pense qu'il est sage
d'adopter une attitude ouverte, tout en conservant une forme de
logique lorsque l'on étudie de tels phénomènes.
Peut-être est-il
possible, dans un certain cadre, de projeter des partenaires sans les
toucher... Peut-être faut-il également tenter l'expérience sur des
personnes qui ne sont pas des élèves et qui viennent avec une
intention mortelle...
Mon expérience de
pratique avec différents maîtres m'amène à penser qu'il se
produit, parfois, des phénomènes dont la logique apparente nous
échappe. Il faut garder à l'esprit que ce n'est pas parce qu'on ne
l'explique pas que ce n'est pas explicable.
Pour terminer, n'oublions
pas que la pratique martiale est un tout et l'on ne peut pas la
faire reposer sur un unique critère que l'on appellerait ki...