Atemi et conditionnement culturel
Atemi
et conditionnement culturel
Lorsque
le mot atemi est employé, l’imaginaire collectif occidental se réveille
et fait communément apparaître l’image d’un coup de poing de cinéma,
généralement « téléphoné » pour les besoins de la mise en scène.
Il est ainsi clair que l’idée que nous nous faisons d’un combat est très culturelle et reste liée aux images que nous avons pu en recevoir, qu’elles soient réelles ou cinématographiques. À titre d’exemple, dans les années 1950 en Europe ou aux États-Unis on considérait que donner des coups de pieds était une réponse de couard…
Quelques années plus tard, David Carradine et Bruce Lee ayant fait leur œuvre dans les films de Kung-Fu, la situation a bien changé !
Il est ainsi clair que l’idée que nous nous faisons d’un combat est très culturelle et reste liée aux images que nous avons pu en recevoir, qu’elles soient réelles ou cinématographiques. À titre d’exemple, dans les années 1950 en Europe ou aux États-Unis on considérait que donner des coups de pieds était une réponse de couard…
Quelques années plus tard, David Carradine et Bruce Lee ayant fait leur œuvre dans les films de Kung-Fu, la situation a bien changé !
L’atemi
peut donc être un coup de poing, de pied, de coude, de genou, d’épaule, de
tête, une pique avec l’extrémité des doigts, une frappe avec le tranchant de la
main, etc. Le pratiquant d’Aïkido notera qu’une coupe, telle que Shomen Uchi
ou Yokomen Uchi, est aussi un atemi. C’est même un type d’atemi
très intéressant puisque pour esquiver une telle attaque il faut éviter une
trajectoire qui est un plan, là où un Tsuki ne représente qu’un point.
Quant
à la finalité de l’atemi, elle peut être approchée par son
étymologie : le terme Atari signifie détruire. On peut donc imaginer qu’il
existe deux catégories d’atemi : ceux qui détruisent immédiatement
l’adversaire et ceux qui déclenchent un processus qui vise la destruction, plutôt
dans un second temps. Cette deuxième catégorie semble plus floue et pourtant
c’est celle que l’on emploie le plus souvent lors des techniques d’Aïkido. Il
s’agit de l’atemi qui constitue un « leurre » – on parle de seme :
la menace – qui permet l’exécution de la technique. Ce type d’atemi n’a
pas nécessairement besoin d’être porté, mais doit être suffisamment bien
effectué par Tori pour que Uke y croit et bouge en conséquence. Le résultat cherché
par un tel atemi est généralement le déséquilibre de Uke. Cette
stratégie n’est bien sûr pas propre à l’Aïkido, d’autres disciplines
l’emploient aussi.
De
l’intérêt de donner des atemi
Ne
pas prendre en compte les atemi dans la pratique martiale reviendrait
peut-être à envisager la guerre sans l’usage de l’artillerie … Pour autant, on
ne peut pas partir au combat uniquement avec des grenades ! Difficile donc
d’envisager une pratique martiale sans atemi, mais la pratique martiale
ce n’est – bien sûr – pas que les atemi.
À
mains nues les atemi sont un ingrédient fondamental pour conserver le
sens du combat et la tension inhérente à celui-ci. Sans atemi – portés
ou non – on rentre dans le cadre d’une lutte rituelle où les outils de l’Aïkido
peuvent se trouver peu adaptés.
L’idéal
serait probablement d’être capable de générer des attaques potentiellement
destructrices de manière à ce que le sens de l’esquive et de la conscience du
danger se développent avec précision. Pas d’Aïkido sans attaques, donc pas
d’Aïkido sans atemi. Qu’on les effectue ou non durant la technique les atemi
sont indissociables des attaques, ne pas s'interroger à leur sujet reviendrait
à oublier le rôle d’Uke, rôle que nous endossons, a minima, 50%
du temps.
La
cible
Lorsque
l’on parle d’atemi on ne peut se dérober à la notion de cible. Il est
évident que certains points du corps peuvent être douloureux lorsqu’ils sont
pressés ou frappés. Nul besoin de pratiquer les arts martiaux pour comprendre
qu’un coup aux parties ou une pique aux yeux peuvent être utiles dans le cadre
du combat.
L’adversaire
est généralement aussi conscient de l’importance de protéger ces cibles et il peut
alors devenir compliqué de les atteindre. L’intérêt de connaître d’autres
points, moins « évidents » sert donc à surprendre l’ennemi.
C’est
là qu’intervient la notion de « points vitaux », les fameux kyusho.
Puisque ces derniers sont généralement directement liés aux points
d’acupuncture, ils sont souvent évoqués par le praticien de Shiatsu ou
d’acupuncture lorsqu’il parle d’atemi. Je ne vais donc pas déroger à
cette coutume et tenter d’apporter quelques éléments de lecture.
Les
kyusho sont des points qui – lorsqu’ils sont pressés, frappés, frottés
ou pincés – provoquent une réaction du corps différente de celle exercée sur un
point quelconque. Le résultat peut être une douleur vive, une perte de tonus
musculaire, un évanouissement, voire plus ( !). L’intérêt d’employer ces
cibles est d’augmenter l’effet d’un atemi sans pour autant avoir à
générer une grande puissance. Ainsi il n’est point besoin de frapper vite et
fort pour développer un travail efficace. Pour les pratiquants d’Aïkido,
l’intérêt d’envisager les atemi comme des frappes sur les kyusho
est que cette association de concepts les rapproche du travail aux armes où la
mobilité prévaut sur la puissance.
Ces
points sont généralement – mais pas exclusivement – des points d’acupuncture.
Afin de les employer il faut tout d’abord connaître leur localisation, la
manière dont il faut les toucher (frapper, presser, frotter...), l’angle avec
lequel il faut les atteindre, mais aussi la partie du corps à utiliser pour le
faire (tranchant de la main, phalange, extrémité cubitale...) et les techniques
de réanimation correspondant (kuatsu). En somme c’est tout un curriculum
à connaître si l’on désire être efficace.
En
conséquence, certains mouvements peuvent sembler inadéquats si l’on ne leur
ajoute pas cet ingrédient spécial qu’est le kyusho. Lorsqu’on les
emploie, un mouvement tel que Gedan Baraï en karaté n’est alors plus un
blocage sur Mae Geri, mais une frappe sur un point précis de la jambe.
Cela change certaines perspectives…
Il
est à noter que l’usage des kyusho n’est pas à réserver aux seuls arts
de combat à mains nues, des disciplines telles que le Jodo peuvent tout
à fait employer ces points comme cibles.
Il
semble ainsi que chaque école ait développé un cursus avec un certain nombre de
points jugés efficaces.
…et
la médecine chinoise
En
plus d’utiliser les points d’acupuncture issus de la médecine chinoise,
certains instructeurs de kyusho sont allés plus loin en appliquant ses
principes théoriques.
Pour ce faire ils ont employé le cycle des cinq éléments de la médecine chinoise. Ces derniers sont l’eau, le bois, le feu, la terre et le métal. Chaque élément possède une dynamique spécifique et est ainsi associé à une saison (respectivement l’hiver, le printemps, l’été, l’été indien et l’automne), à une émotion (la peur, la colère, la joie, la réflexion excessive et la tristesse), à un couple d’organe (rein / vessie, foie / vésicule biliaire, rate / estomac, cœur / intestin grêle, poumon / gros intestin), à des méridiens et donc à des points !
Ces
éléments interagissent aussi les uns avec les autres selon deux cycles
symboliques : un cycle d’engendrement (Cheng) et un cycle de
contrôle (Ko). Ainsi le Bois en brûlant engendre le Feu et le Feu
contrôle le Métal en le faisant fondre. On peut élargir cette notion en disant
des généralités telles que la peur (Eau) engendre la colère (Bois) ou que la
joie (Feu) jugule la tristesse (Métal).
Forts de ce savoir les pratiquants de kyusho ont formalisés des enchaînements logiques permettant d’affaiblir plus facilement un point en employant celui qui le contrôle.
Par
exemple on peut frapper un point Feu qui va affaiblir l’énergie du Métal avant
de frapper un point Métal (contrôlé par l’élément Feu). La puissance de ces
frappes est parfois renforcée par une posture et un kiaï
spécifiques : on peut prendre une posture dite « Métal » pour
frapper un point dit « Bois » puisque le Métal coupe le Bois.
Cette
rationalisation est très élaborée et peut fonctionner, mais semble très
difficile à mettre en œuvre dans le cadre d’un combat où rien ne se produit
comme prévu. Toutefois les kyusho sont – occasionnellement – employés
par certaines équipes de la protection civile et semblent donner de bons
résultats, même si leur propagation demeure embryonnaire et que l’apprentissage
reste long.
La
transmission
On
touche ici du doigt une des difficultés apparaissant lors de la création puis
de l’enseignement d’un système martial : le curriculum doit-il juste
servir de support aux principes de l’école ou doit-il proposer un éventail de
toutes les situations possibles en multipliant le nombre de techniques ?
En
Shiatsu, Shizuto Masunaga note une tendance à la complexification du catalogue
technique. Afin de se démarquer de leurs homologues non-professionnels, des shiatsushi ont développé le kyokute,
un syllabus de pratiques tarabiscotées. Masunaga n’hésite pas à appeler
celle-ci kyogi « techniques vaines » jugeant que l’effet
thérapeutique n’est pas nécessairement lié à une virtuosité apparente.
L’important n’est donc peut-être pas ce que l’on fait, mais plutôt comment on
le fait…
Le
propre de certains points d’acupuncture est d’être douloureux à la pression
lorsque la santé de l’organisme est en déséquilibre. Ainsi, il semble que
lorsque Morihei Ueshiba appliquait nikyo à ses élèves, il leur
disait : « Si cela vous fait mal c’est que quelque chose ne va
pas chez vous ». Les techniques de torsions de poignet ou de luxation
étant un moyen comme un autre d’atteindre un kyusho cela pousse à la
réflexion suivante : « Si la personne que j’ai en face est en
parfaite santé et ne souffre donc d’aucune tension vais-je pouvoir employer les
kyusho ? » Cela revient à reléguer au second plan toutes les
techniques visant à provoquer la douleur puisqu’il est très difficile de savoir
si l’adversaire y sera sensible ou non.
C’est
généralement le discours que l’on tient pour affirmer la supériorité tactique
de la création de déséquilibre sur la création de douleur : face à un
drogué, la technique par la douleur ne fonctionne plus. De là à considérer
qu’un combattant au seuil de la mort soit dans le même état qu’un drogué il n’y
a qu’un pas…
Être ici et maintenant
Ce
qui me semble finalement plus intéressant, dans le monde relativement
sécuritaire dans lequel nous vivons, n’est pas la connaissance de ces points,
mais la capacité à sentir où il faudrait frapper et à frapper correctement si
le besoin « combatif » s’en faisait sentir.
En
tant que praticien de shiatsu ma recherche personnelle ne consiste pas à
connaître les 365 points d’acupuncture et leurs fonctions ainsi que les 800
points hors-méridiens, et à employer ces connaissances de manière
intellectuelle. Je cherche davantage à me placer dans un état de réceptivité
qui permet de toucher le point, la zone qui a besoin d’être touchée. Cela
nécessite de se placer dans l’instant et de laisser faire son corps, ce qui me
semble difficile lorsque l’on sollicite la partie rationnelle de son cerveau.
Cette
qualité, à mon sens, pourrait aussi être développée dans le cadre d’une
pratique martiale. Il ne faudrait pas oublier que beaucoup de nos capacités
originelles se sont peu à peu estompées au fil de l’évolution de nos modes de
vie. À l’occasion notre sensibilité primitive refait surface… Ainsi, qui n’a
pas déjà expérimenté la désagréable impression que c’était « juste »
lorsque l’on était blessé quelque part que des pratiquants habituellement
précautionneux, semblaient être attiré par la zone douloureuse et la heurtaient
malencontreusement ? Bien entendu il est difficile de savoir si l’on est
réellement touché parce que la zone blessée « appelle » les coups ou
si le fait qu’elle soit devenue plus sensible nous fait prendre conscience
d’impacts que l’on n’aurait même pas perçus en temps normal !
Ne
serait-il pas intéressant de retourner cette capacité et d’être ainsi capable
de percevoir les éventuelles zones fragiles chez l’autre ? Cela
reviendrait à développer « suki », la perception de l’ouverture et de
l’opportunité d’action.
Dès
lors, plus besoin de connaître les cibles potentielles, il s’agit de
« sentir » où est la cible juste. Cela suppose d’être « ici et
maintenant » …
Un
point c’est tout !
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VC12 |
Il
arrive que les pratiquants d’Aïkido le stimulent lors d’exercices respiratoires
où le buste se penche vers l’avant et les doigts rentrent sous les côtes.